Vous avez sans doute déjà entendu parler d’« état de nécessité » comme d’un bouclier juridique capable de disculper une personne ayant commis une infraction.
L’article 122‑7 du Code pénal le formalise. Mais comment fonctionne ce mécanisme exactement ? Et dans quelles circonstances un acte illégal peut-il être pardonné ? On plonge ensemble dans les détails.
Nous verrons d’abord ce que prévoit le texte légal, puis les conditions strictes à remplir pour que ce mécanisme soit retenu. Ensuite, nous examinerons des exemples concrets issus de la jurisprudence, avant d’analyser en profondeur les limites et précautions. Enfin, je tirerai les leçons essentielles à retenir pour le citoyen ou l’étudiant en droit.
Que prévoit l’article 122‑7 du Code pénal ?
Voici le libellé de l’article 122‑7 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace »
En d’autres termes, l’article reconnaît un fait justificatif : dans certaines situations extrêmes, l’auteur d’un acte interdit n’est pas condamné pénalement parce qu’il a agi pour éviter un danger.
Le Code pénal distingue ainsi l’état de nécessité d’autres causes d’irresponsabilité (comme le trouble mental, l’erreur de droit ou la contrainte).
Pour bien situer l’article, notez qu’il a été intégré avec la réforme du Code pénal de 1994. Avant cela, l’état de nécessité n’était pas formellement codifié : c’était la jurisprudence qui en fixait les contours.
Quelles sont les conditions de l’état de nécessité ?

L’article seul ne suffit pas : pour bénéficier de l’état de nécessité, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies. Sans l’une d’elles, la défense ne passera pas.
Voici les principales conditions :
- Danger actuel ou imminent : il ne peut s’agir d’une menace lointaine ou hypothétique – il faut un péril concret, imminent, pesant sur la personne, un autre être ou un bien.
- Acte nécessaire : l’acte commis doit être le moyen nécessaire pour conjurer le danger, c’est-à-dire qu’aucune autre voie moins dommageable n’était raisonnablement possible.
- Proportionnalité : les moyens employés ne doivent pas être disproportionnés par rapport à la gravité de la menace. Le juge compare les sacrifices et les gains.
- Condition négative : l’agent ne doit pas avoir lui-même causé le danger ni disposé d’une autre solution raisonnable pour l’éviter. Cela exclut l’exploitation de la situation dangereuse comme prétexte.
La jurisprudence est exigeante sur ces points. Par exemple, la Cour de cassation a jugé que la simple crainte, sans danger objectivement prouvé, ne suffit pas.
Le cumul de ces conditions conduit à une application très restrictive de l’état de nécessité. Toutes ne sont pas automatiquement admises, l’appréciation se fait au cas par cas, selon les circonstances.
Quels exemples illustrent l’article 122‑7 ?
Pour saisir concrètement ce mécanisme, voici quelques cas jurisprudentiels classiques ou instructifs.
Le pompier brisant une porte pour sauver des victimes : c’est l’exemple par excellence. Face à un incendie menaçant, un pompier peut défoncer la porte d’une habitation sans dénoncer une infraction, si l’intervention est nécessaire pour préserver des vies.
Cela correspond exactement à l’hypothèse visée par l’état de nécessité.
L’affaire Monsanto / essais OGM : Dans une décision du tribunal de grande instance d’Orléans (2005), des prévenus ont été relaxés en invoquant l’état de nécessité pour avoir détruit des cultures génétiquement modifiées dans des essais expérimentaux.
Le tribunal a analysé soigneusement l’existence d’un danger réel, la nécessité de l’acte et la proportionnalité.
Cependant, cette application n’est pas systématique : dans d’autres arrêts récents, les cours ont refusé l’exception de l’état de nécessité quand le lien entre l’acte et le danger n’était pas clairement démontré, ou quand les moyens employés étaient jugés excessifs.
Un exemple “quotidien” souvent évoqué dans les manuels : le vol d’un extincteur pour éteindre un incendie naissant. Mais pour que cela soit retenu comme état de nécessité, il faut prouver que c’était le seul moyen d’agir immédiatement, que la proportion était respectée, et que l’auteur n’avait pas d’autre solution raisonnable.
Explication approfondie : portée, limites et précautions

Maintenant que vous connaissez le texte et les exemples, il faut examiner les enjeux plus subtils de l’article 122‑7 — ses zones grises, ses risques, ce qu’il ne couvre pas.
Ce que l’état de nécessité ne justifie pas : il ne permet pas de commettre des actes excessifs, destructeurs ou disproportionnés. Si le juge estime que l’acte était trop violent par rapport au danger, l’exonération est rejetée.
Une différence cruciale avec la légitime défense : dans cette dernière, on répond à une attaque injustifiée, souvent d’un coup.
L’état de nécessité, lui, suppose un danger passif (non causé par un agresseur direct) et est plus large dans son objet (protection d’un bien, d’autrui, etc.). Les critères temporels et la nature de la menace diffèrent.
Autre point souvent oublié : même si l’état de nécessité exonère l’auteur de la responsabilité pénale, il ne l’exonère pas automatiquement des conséquences civiles.
Si l’acte a causé un dommage à un tiers, la victime peut demander réparation, sauf si des solutions juridiques l’empêchent.
Enfin, la charge de la preuve repose sur celui qui invoque l’état de nécessité. L’auteur doit démontrer la réunion des conditions : danger, nécessité, proportion. Si les preuves manquent, l’exception sera rejetée.
Conclusion & conseils pratiques
L’article 122‑7 du Code pénal institue un mécanisme protecteur rare, mais précieux : l’état de nécessité peut neutraliser la responsabilité pénale quand toutes les conditions extrêmes sont réunies.
C’est la reconnaissance juridique que, parfois, l’interdit doit céder au péril.
Mais attention : l’invoquer n’est pas une garantie de succès. Il ne faut pas improviser. Voici quelques conseils :
- Rassemblez toutes les preuves utiles (témoignages, photos, chronologie)
- Montrez que l’acte était le seul moyen raisonnable d’agir
- Veillez à ce que les moyens employés soient proportionnés
- Anticipez la dimension civile : réparer les préjudices éventuels
Et surtout, ne confondez pas état de nécessité et excès de bonne foi. La simple intention de faire le bien ne suffit pas si les conditions juridiques ne sont pas remplies. Le droit est exigeant là-dessus.
Pour un étudiant, un citoyen ou un avocat, retenir ces principes est fondamental : l’état de nécessité est une clé rare dans le coffre du droit pénal à manier avec prudence, rigueur et humilité.
