L’article 1690 du Code civil : un vieux pilier toujours debout ?

On l’appelle “le grand classique” du Code civil, et pourtant, peu savent vraiment ce que dit l’article 1690. Il évoque des termes juridiques que seuls les initiés maîtrisent : “signification”, “acceptation authentique”, “cession de créance”. Mais derrière ces formules un brin poussiéreuses, se cache un dispositif fondamental qui touche au cœur de la transmission de droits.

Entre tradition napoléonienne, réformes modernes et enjeux concrets pour les baux ou la cession de parts sociales, plongeons ensemble dans les coulisses d’un article que tout juriste (et bien des entrepreneurs) croisent tôt ou tard sur leur chemin.

Que dit exactement l’article 1690 du Code civil ?

L’article 1690, dans sa version ancienne comme actuelle, fixe les conditions d’opposabilité de la cession d’une créance à un tiers. En d’autres termes : comment prouver que vous avez bien cédé un droit à quelqu’un d’autre — et que les autres doivent le reconnaître.

Voici sa formulation emblématique :

“La cession d’une créance, d’un droit ou d’une action, ne produit effet à l’égard des tiers que si elle leur a été signifiée ou s’ils en ont pris acte dans un acte authentique.”

En clair, si vous cédez votre droit à une somme d’argent à une autre personne, il faut que le débiteur en soit officiellement informé.

Sinon, il pourrait continuer à payer l’ancien titulaire… ou contester la créance. Cette exigence vise donc à prévenir les litiges et à assurer la transparence des transferts.

Quel article a remplacé l’ancien 1690 dans la réforme du Code civil ?

code civil 1 L’article 1690 du Code civil : un vieux pilier toujours debout ?

Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, le droit des obligations a connu un sérieux lifting. L’article 1690, sans être totalement abrogé, a vu son champ d’application se réduire.

Le nouveau texte de référence est l’article 1324 du Code civil.

Celui-ci modernise la cession de créance en permettant une plus grande souplesse : une cession est opposable aux tiers par acte sous seing privé portant date certaine, et surtout, elle est opposable au débiteur dès qu’il en a connaissance, peu importe le canal utilisé (courrier, e‑mail, etc.).

Cette évolution marque la volonté du législateur de désacraliser la forme au profit de l’efficacité. Mais attention : dans certaines situations (notamment en matière de saisie ou de procédure civile), les anciennes exigences de 1690 gardent toute leur pertinence.

Pourquoi les formalités de l’article 1690 ont-elles autant d’importance ?

Certes, elles peuvent paraître archaïques. Mais elles ont une véritable finalité : garantir l’opposabilité et la sécurité juridique.

Voici quelques bénéfices concrets :

  • Protéger le débiteur : il ne peut être contraint à payer deux fois s’il a été correctement informé.
  • Éviter les conflits entre créanciers : en cas de pluralité de cessions, la première “signifiée” est celle qui prime.
  • Donner une date certaine à l’acte de cession.

Ces formalités assurent donc une traçabilité des engagements. En ce sens, elles sont précieuses dans les contextes sensibles comme les procédures collectives ou les redressements judiciaires.

L’article 1690 s’applique-t-il encore à la cession de parts sociales ?

code civil 3 L’article 1690 du Code civil : un vieux pilier toujours debout ?

La réponse est oui, et de manière très concrète. Lorsqu’un associé d’une société civile (comme une SCI) cède ses parts, l’article 1690 continue de jouer un rôle fondamental pour assurer que la société (et les autres associés) soient informés.

En pratique, cela passe par :

  • Une notification par huissier à la société de la cession.
  • Ou une acceptation dans un acte authentique (notarié, par exemple).

À défaut, la société peut valablement refuser d’opposer la cession. Imaginez la scène : un associé vend ses parts à un tiers sans prévenir personne.

La société continue de verser les dividendes à l’ancien associé, en toute bonne foi. Un casse-tête qui pourrait être évité… avec une simple signification !

Et pour les baux commerciaux, comment cela fonctionne-t-il ?

On entre ici dans un terrain un peu plus mouvant. La cession d’un bail commercial ne relève pas strictement de l’article 1690… mais les logiques restent proches.

Le bailleur, pour reconnaître le nouveau locataire (cessionnaire), doit avoir été valablement informé. Cela peut passer par une notification officielle, ou un acte signé devant notaire.

En l’absence de formalités, il pourrait ignorer le nouveau locataire ou refuser le transfert du bail.

Certains tribunaux ont même rappelé que l’article 1690 pouvait s’appliquer par analogie pour garantir l’opposabilité d’une cession de bail, surtout lorsque des droits pécuniaires (droit au renouvellement, pas-de-porte, etc.) sont en jeu.

Quelles sont les bonnes pratiques à adopter aujourd’hui ?

code civil

Pour éviter toute mauvaise surprise, voici quelques conseils pratiques :

SituationForme recommandéeObjectif
Cession de créance simpleDate certaine + preuve de réceptionOpposabilité au débiteur
Cession de parts socialesSignification ou acceptation authentiqueOpposabilité à la société
Cession de bail commercialNotification + clause de cession dans le bailOpposabilité au bailleur

Moralité : même si le droit évolue, un excès de prudence ne nuit jamais. Une signification bien faite aujourd’hui peut vous épargner bien des tracas demain.

Pensez au notaire, à l’huissier, ou tout simplement à l’envoi recommandé avec accusé de réception : mieux vaut formaliser que regretter.

Conclusion

Si l’article 1690 a perdu de sa superbe depuis la réforme du droit des obligations, il reste un repère important pour comprendre les mécanismes de transmission de droits en droit français.

À travers ses exigences de notification ou d’acceptation, il rappelle que la transparence est le pilier de la confiance contractuelle.

En matière de cession qu’il s’agisse de créances, de parts ou de baux une seule règle prévaut : dire ce que l’on fait, et le faire savoir clairement.

Alors, même si vous êtes tenté de zapper les formalités, rappelez-vous cette maxime bien connue des juristes : “Ce qui n’est pas opposable… n’existe pas.”